L’intérêt à agir contre un permis de construire (CE 10 février 2016 n°387507) – Le MTP du 25.3.2016 p. 87

Un arrêt du Conseil d’Etat du 10 février dernier poursuit l’œuvre entreprise par les pouvoirs publics pour sécuriser les autorisations de construire (CE, 10 février 2016, n° 387507). L’intérêt à agir contre un permis de construire a été considérablement restreint par le nouvel article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme (issu de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme).

Entrée en vigueur le 19 août 2013, cette disposition impose aux requérants (excepté les personnes publiques et les associations dont l’intérêt à agir s’apprécie au regard de leur objet social) de démontrer que le projet contesté est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’ils détiennent ou occupent. La qualité de voisin ne suffit donc plus.

Faute de précision sur l’application de cet article, adopté par ordonnance et sans décret d’application, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu de l’interpréter.

Le Conseil d’Etat s’est d’abord prononcé sur l’application dans le temps de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme. Cette dispo-sition ne joue que si le permis a été délivré après son entrée en vigueur (CE, avis, 18 juin 2014, n° 376113 et CE, 8 juillet 2015, n° 385043). Appréciation in concreto. Par un arrêt de 2015, dans une affaire où les requérants invoquaient les nuisances sonores d’un projet de station de conversion électrique à 700 m de leurs habitations, les juges du Palais-Royal ont précisé leur interprétation de la nouvelle disposition (CE, 10 juin 2015, n° 386121).

Il appartient au requérant, ont-ils énoncé, « de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le défendeur peut, quant à lui, contester l’intérêt à agir du requérant en apportant tous les éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge du fond est donc invité à une appréciation in concreto de l’intérêt à agir, par la confrontation des éléments factuels invoqués par les parties. Le Conseil d’Etat précise cependant dans cette décision que le requérant n’est pas tenu de prouver le caractère certain des atteintes qu’il invoque. L’appréciation de l’intérêt à agir au regard des troubles allégués est ainsi clairement distinguée de l’action en trouble anormal de voisinage, laquelle est conditionnée à un préjudice direct et certain.

Par son arrêt du 10 février dernier, le Conseil d’Etat confirme explicitement que la circonstance que le requérant habite à proximité immédiate de la parcelle destinée à recevoir les constructions ne suffit plus à établir une atteinte directe, même potentielle.

Mais surtout, en confirmant l’ordonnance d’irrecevabilité manifeste du premier juge prise en application du 4° de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative (CJA), il sanctionne la légèreté avec laquelle le requérant, invité par le tribunal à justifier de son intérêt à agir, s’est contenté de produire une attestation de propriété et un plan parcellaire.

Si ces éléments étaient suffisants avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013, la démonstration d’une occupation ou d’une jouissance « lésée » par le projet s’impose désormais aux requérants, à défaut de quoi ils s’exposent à une ordonnance de tri sans audience publique.

Dans la pratique, il est désormais fréquent de recevoir, dans les premières semaines d’instruction d’un recours, un mémoire en irrecevabilité manifeste de l’autorité qui a délivré le permis ou du pétitionnaire, sollicitant du tribunal l’application de l’ar-ticle R. 222-1 du CJA.

La procédure contentieuse se déroule ainsi désormais en deux temps. La discussion portant sur les moyens d’annulation devient souvent secondaire… •

Publié dans le Moniteur Des Travaux Publics du 25 mars 2016 p. 87

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